Cette image lithographiée d’Honoré Daumier m’a toujours fasciné. J’ai retrouvé l’endroit où il a dessiné ce cruel fait divers, intitulé « Le massacre de la rue Transnonain »…

Le 13 avril 1834, près d’une barricade élevée lors des émeutes contre le gouvernement de Louis-Philippe, rue Transnonain un capitaine d’infanterie est blessé d’un coup de feu tiré depuis une fenêtre. En représailles, et sur ordre, une partie des habitants du 12 rue Transnonain, d’où le tir était supposément parti, sont massacrés par les militaires. En juillet 1834, dans un pamphlet, Alexandre Ledru-Rollin en fait le macabre compte-rendu : « Douze cadavres furent affreusement mutilés ; quatre personnes ont été dangereusement blessées : femmes, enfants, vieillards, n’ont pas trouvé grâce. »

Nadar Honoré Daumier 1856/1858Daumier (ci-contre) y passe le lendemain. Il marche dans les appartements baignés d’un silence de mort, dessinant à la volée les détails de sa future caricature, dont Baudelaire dira : « Ce n’est pas précisément de la caricature, c’est de l’histoire, de la terrible et triviale réalité ». Homme tué de plusieurs balles, son bonnet de coton encore sur la tête, tombé de son lit défait en écrasant un bébé sous son poids, vieillard mort dans le coin droit, femme dans le coin gauche : les quatre âges de la vie foudroyés… Chaises, table de nuit, pot de chambre renversés. Et puis ce traversin sur lequel tombe une lumière blafarde, les draps qu’on imagine encore chauds, l’intimité violée, la mort au bout du cauchemar… Avec ce dessin splendide, Daumier fait le décompte cruel de l’horreur de cette bavure. Le dessin sera exposé chez Aubert, dans la galerie Véro-Dodat. La foule se presse pour le voir. Il sera aussi publié dans l’Association Mensuelle, le 23 juillet 1834.

12 rue TransnonainDes relevés faits pour l’enquête menée par la chambre des Pairs (provoqués par le pamphlet de Ledru-Rollin et la litho de Daumier) montre la disposition des lieux… au 1er et 2e étage, artisans cossus, petites entreprises ; aux étages supérieurs, employés, ouvriers, apprentis et journaliers bijoutier, chapelier, doreur sur papier, gainier, monteur sur bronze, peintre en bâtiment, tailleur de pierre, couturière, artiste peintre, peintre vitrier, polisseuse en pendules ou ravaudeuse. Sur la rue, le fabricant de papier peint, Jean-François Breffort qui sera tué avec sa nièce Annette Bessonet et son fils Louis. Au 3e étage, un petit théâtre, tenu par la veuve Doyen… La veille encore, on y jouait un vaudeville. La fusillage éclata pendant les répétitions. Le second mari de la veuve se réfugia dans la loge du souffleur où la troupe le repéra. Il eut tout juste le temps de se glisser entre les marches de l’escalier proche pour se cacher dans le 3e dessous.

rue Transnonain ParisDétruit et remplacé, l’immeuble du 12 rue Transnonain est désormais remplacé par une banque au 62 rue Beaubourg. La vieille plaque de la rue Transnonain est visible au coin de la rue Chapon. En 1835, à l’issue d’un gigantesque procès, seuls les émeutiers de Paris, Lyon (300 morts) et Marseille sont jugés. Les avocats sont entre autres Barbès, Blanqui, Lazare Carnot, Auguste Comte, Jules Favre, l’abbé de Lamennais… Au bout de six mois, les condamnations vont de la déportation à la résidence surveillée.

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