C’est une ces comètes qui surgissent et illuminent notre nuit de leur génie avant de se dissoudre dans le noir absolu. Voilà l’histoire triste mais édifiante de Patricia Janečková, chanteuse d’opéra slovaque au talent hors normes, soprano qu’on croyait promise à une brillante carrière… Une histoire triste, mais édifiante. 

Patricia est slovaque. Elle chante depuis l’âge de quatre ans. Sa maturité, son intonation impeccable, son raffinement vocal frappent très vite ceux qui auront eu la chance de l’écouter. À dix ans, elle remporte une audition organisée par l’Orchestre philharmonique Janáček d’Ostrava et elle a pour la première fois, l’occasion de chanter avec un orchestre symphonique. À douze ans, première consécration, grand public, celle-là : elle gagne le concours de talents télévisuel slovaque.

À seize ans, Patricia remporte le concours international de chant Concorso Internazionale Musica Sacra à Rome. Une référence de taille, même si, en France, on ne sait pas que ça existe… En 2015, la soprano junior reçoit une bourse pour participer aux ateliers de chant d’été organisés par l’Académie européenne de musique d’Arezzo, en Italie, où elle travaille sous la direction du célèbre baryton de La Scala, Renato Bruson. Rien que ça…

Patricia Janečková enchaine les concerts : Starry Night à Vienne (Autriche), Junge Talente der Klassik à Klosterneuburg (Autriche), Musicales de Louvergny (France), Festival international de musique de Český Krumlov (République tchèque), Feuerblumen & Klassik Open Air de Berlin, et j’en passe… Elle chante les classiques du répertoire, les Noces de Figaro, La Flûte enchantée… Mais son vaste répertoire s’étend à la musique baroque et liturgique en passant par l’interprétation de comédies musicales et de musiques de films d’Ennio Morricone !

Je ne dis pas tous les orchestres dans lesquels elle a travaillé en Tchéquie et en Slovaquie, cela ne vous dira rien. Quand on connait la somme de travail qu’il faut pour y entrer comme musicien, en être la soprano colorature attitrée, c’est autre chose que 10 000 followers sur X… 

Colosses aux pieds d’argile

Le 7 janvier 2016, elle a 18 ans. Elle chante au concert du nouvel An d’Ostrava. On parle de génie ? Le voici ! Je vous conseille d’écouter plusieurs fois son interprétation des « Oiseaux dans la charmille » d’Offenbach. Ça donne la chair de poule, non ? Qui est capable d’atteindre une telle intensité, de conserver la même densité de ton d’un bout à l’autre des trilles et staccatos ? D’atteindre le Ré#5, deux touches après le contre-ut ? Qui a son talent de comédienne, éprouvant d’une façon hilarante, les émotions d’une poupée mécanique ?

Mais les génies sont des colosses au pied d’argile. Ils sont aussi mortels. En mars 2022, coup de tonnerre : elle annonce qu’elle est diagnostiquée d’un cancer du sein qui l’oblige à annuler ses concerts pour suivre un traitement violent, chimiothérapie puis mastectomie… Patricia apparait alors sans cheveux, et après son opération, sur son lit d’hôpital, ou posant en noir et blanc, la cicatrice bien visible. Son courage est tel et son appétit si grand qu’elle pense s’en sortir et recommence même à chanter en public.

« Avant le concert, je vis des choses terribles dont je ne me souviens plus dans les instants précédant immédiatement le concert… Mais à l’instant où je monte sur scène, miraculeusement, tout tombe, et c’est bien ». Mais la maladie recommence sa marche infernale. En juin 2023, elle épouse l’acteur Vlastimil Burda en juin 2023. Ses cheveux ont repoussé. C’est son chant du cygne. Elle meurt à peine trois mois plus tard.

J’avoue enrager. De tristesse, bien sûr, pour une telle perte. Comme après la mort d’Yves Chaland, dessinateur le plus talentueux de sa génération, écrasé par un camion à 33 ans, et avec sa petite fille… Mais j’enrage aussi face à ceux qui jalousent ou pire haïssent la réussite de ces génies. Combien se prétendent autrices ou auteurs après un livre publié à compte d’auteur. Combien se croient photographes avec leurs images filtrées sur Instagram. Rien que pour leur montrer ce qu’est un(e) vrai(e) génie, Patricia Janečková aurait dû vivre plus longtemps.

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